Sur les rives du fleuve Congo, auprès des pêcheurs, y compris ceux de Loukolela et Mossaka, 400 grammes de poisson local comme le Mogandza ou le Carpe (Mboto) peuvent être achetés pour une somme modique de 300 FCFA. Et pourtant, ce même poisson, après avoir transité par une chaîne d'intermédiaires, se retrouve servi dans une assiette raffinée au Radisson de Brazzaville pour un prix exorbitant de 19 000 FCFA pour les 400 grammes. Cet écart vertigineux révèle un système qui enrichit les maillons intermédiaires et finaux au détriment direct de ceux qui, au péril de leur vie parfois, ramènent la vie du fleuve.

Des Pêcheurs Oubliés, Un Fumage Nécessaire mais Risqué
Faute d'infrastructures de conservation adéquates ou d'acheteurs réguliers le long du fleuve, les pêcheurs doivent souvent fumer leur poisson. Cette technique traditionnelle, bien qu'essentielle pour préserver les prises et éviter les pertes, comporte des risques significatifs pour leur santé et leur sécurité : fumée nuisible, risques d’incendie liés au bois utilisé, maladies oculaires, et une pénibilité accrue. Ce fardeau pèse de manière disproportionnée sur les femmes, souvent chargées de cette tâche ardue, loin de toute assistance. (fao.org)
Le Makouala : Le Poisson Fantôme de Pointe-Noire et les Conséquences de la Surpêche
Autrefois commun sur les marchés locaux, le poisson Makouala a pratiquement disparu des étals de Pointe-Noire. Les pêcheurs rapportent que les chalutiers industriels, notamment chinois, avec des filets à grosse maille, capturent indistinctement tout, y compris les juvéniles. Cette pratique ne laisse aucune chance aux jeunes poissons de grandir et de se reproduire, éliminant ainsi les générations futures. Conséquence directe pour les pêcheurs artisanaux : des pêches infructueuses et des prix qui montent en flèche (un carton passant de 5 000 à 25 000–50 000 FCFA), privant la population de son poisson local tant apprécié. (ACI, MediaCongo)
Une Pression Industrielle Destructrice sur les Ressources des Congolais
La surpêche n’est pas un incident isolé ; c'est un problème généralisé qui touche l'ensemble des ressources halieutiques du Congo. Les zones côtières et estuariennes, essentielles pour la reproduction des poissons, sont pillées par des navires industriels étrangers (chinois, européens, vietnamiens et libériens) sans réelle sanction. Les autorités restent souvent impuissantes face à cette grave dégradation des ressources halieutiques du fleuve et des côtes, laissant les pêcheurs locaux démunis. (MediaCongo)
Une Valeur Partagée Injustement : Le Pêcheur, le Grand Oublié
Chaque étape de la chaîne d'approvisionnement — du fumage au transport, en passant par les intermédiaires et la restauration — gonfle les marges de manière exponentielle. La disparité flagrante est évidente en fin de chaîne : la valeur initiale de 300 FCFA payée au pêcheur (qui devrait au minimum être de 600 FCFA pour être plus juste) devient inaccessible pour bien des Congolais, qu'ils vivent à Loukolela, Mossaka, ou ailleurs le long du fleuve. "Le pêcheur, lui, ne voit qu'une infime partie de la valeur réelle de son travail". Steve NDENDE, ancien Pêcheur
Pisciculture Locale : Un Potentiel Ignoré pour les Communautés
Des initiatives comme celles de la Fondation Telema ou l’IECD montrent la voie de la pisciculture durable, capables d’offrir une alternative nourricière locale et des revenus supplémentaires aux communautés riveraines et aux pêcheurs. Mais ces projets restent trop peu nombreux et peu financés pour répondre aux besoins nationaux et soutenir efficacement les pêcheurs impactés par la surpêche industrielle. (fondationtelema.cg)
Surpêche Juvéniles & Menace Écologique
La raréfaction des grosses captures et la prédominance des prises juvéniles — comme observé chez les requins — sont des signes inquiétants d’un déséquilibre écologique. Il faut des mesures éthiques urgentes : remise à l’eau, quotas, interdictions ciblées, pour préserver la biodiversité du fleuve et assurer un avenir aux pêcheurs. (BBC Afrique)
Poisson Congelé : Une Solution Amère qui Dévalorise le Travail Local
En l’absence d’offre locale suffisante et stable, les marchés sont saturés de poissons de mer congelés — souvent douteux sur le plan sanitaire — au détriment de notre filière halieutique nationale, dévalorisant le travail des pêcheurs locaux et privant les consommateurs de poisson frais issu des côtes de Pointe-Noire, du Mayombe et du géant fleuve Congo.
Un Appel Vibrant pour une Filière Juste et Durable
- Valoriser équitablement les pêcheurs artisanaux pour leur rôle vital, en assurant un prix juste et stable, passant de 300 FCFA à un minimum de 500 FCFA pour 400 grammes , soit 1250 FCFA pour 1 Kilo de Monganza, en particulier dans les communautés comme Loukolela , Liranga, Impfondo et Mossaka où les vivres importés sont en train de prendre la place du Poisson bio. Et surtout permettre aux pêcheurs de vendre directement en milieu urbain via un système d'accès participatif à des chambres froides dédiées et la commercialisation digitale via des plate-formes comme AgriZoom App
- Développer à grande échelle la pisciculture durable comme une source de revenus alternative et une solution à la pénurie.
- Protéger la biodiversité via des pratiques de pêche éthiques et réglementées sur l'ensemble du fleuve, avec une application stricte des lois pour lutter contre la surpêche illégale.
- Limiter les importations pour préserver qualité et souveraineté alimentaire, soutenant ainsi la production locale.
Monganza et le Makouala ne sont pas seulement des poissons : ils sont des symboles — de notre patrimoine, de nos inégalités criantes, et de la nécessité vitale d’une pêche congolaise respectueuse, résiliente et surtout, juste envers ceux qui la font vivre : les pêcheurs.
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